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Au hasard de la vie (1891)

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Titre original:Au hasard de la vie (1891)
Taille:6913KB
Évaluation:
Type:PDF, ePub, Kindle
Catégorie:Livre
Téléchargé:2020 Jul 2

DANS le nord de l’Inde il y avait un monastère appelé la Chubara de Dhunni Bhagat. Personne ne se rappelait rien concernant ce Dhunni Bhagat. Il avait passé sa vie à gagner un peu d’argent et l’avait entièrement dépensé, comme tout bon Hindou devrait faire, à une œuvre pie  : la Chubara. Ce monastère était plein de cellules de brique, où s’étalaient en couleurs claires des images de dieux, de rois et d’éléphants, et où des prêtres épuisés par les macérations restaient à méditer sur les fins dernières des choses  ; les allées étaient pavées de briques, et les pieds nus des milliers de pèlerins y avaient creusé des sillons. Des touffes de manguiers avaient surgi d’entre les briques, de grands pipals ombrageaient le treuil du puits qui grinçait tout le long du jour, et des hordes de perroquets jacassaient dans les branchages. Écureuils et corbeaux étaient familiers en ce lieu, car ils savaient que jamais un prêtre ne les toucherait.Les mendigots errants, les vendeurs d’amulettes et les saints vagabonds de cinquante lieues à la ronde faisaient de la Chubara leur lieu de rendez-vous et de repos. Mahométans, Sikhs et Hindous se mêlaient indifféremment sous les arbres. C’étaient des vieillards, et quand on est arrivé aux tourniquets de la Nuit éternelle, toutes les religions du monde vous paraissent singulièrement égales et sans importance.Voici ce que m’a raconté Gobind le borgne. Il avait été un saint homme habitant sur une île au milieu d’une rivière et nourrissant les poissons deux fois par jour avec de petites boulettes de pain. En temps de crue, quand les cadavres enflés venaient s’échouer au bout de l’île, Gobind les faisait pieusement brûler, pour l’honneur de l’humanité, et en considération des comptes que lui-même aurait à rendre à Dieu par la suite. Mais quand les deux tiers de l’île eurent été emportés d’un coup, Gobind s’en alla de l’autre côté de la rivière à la Chubara de Dhunni Bhagat, emportant son seau de cuivre avec autour du cou la corde à puits, sa courte béquille de repos constellée de clous de cuivre, son rouleau de couchage, sa grosse pipe, son parasol, et son haut chapeau en feuilles de canne à sucre sur lequel se balançaient les plumes de paon rituelles. Drapé dans sa couverture faite de pièces et de morceaux de toutes les couleurs et de tous les tissus du monde, il s’assit dans un coin ensoleillé de la très paisible Chubara, et, le bras posé sur sa béquille à courte poignée, il attendit la mort. Les gens lui apportaient de la nourriture et de petits bouquets de fleurs de souci, et en retour il leur donnait sa bénédiction. Il était presque aveugle, et sa face était creusée, plissée et ridée à ne pas le croire, car il vivait déjà en un temps qui précéda celui où les Anglais arrivèrent à moins de deux cent cinquante lieues de la Chubara de Dhunni Bhagat.